Le leadership au féminin : des atouts sous-estimés ?

Les politiques de diversité en entreprise s’intéressent de plus en plus au sujet de leadership. Mais y a-t-il un leadership féminin ?

Trop souvent, le leadership serait encore associé à des traits traditionnellement considérés comme “masculins” : autorité, prise de décision rapide, affirmation de soi… De son côté, le leadership féminin serait susceptible d’apporter d’autres richesses faites de collaborativité, d’écoute, de détermination.

Chez Luxinvia, nous sommes engagés dans une démarche de diversité car nous croyons simplement à la diversité en tant… que valeur, en tant que principe humain du vivre ensemble.

Un leadership basé sur l’intelligence émotionnelle et la coopération

On reconnait souvent aux femmes des compétences relationnelles clés qui favorisent un leadership efficace : elles sont réputées plus sociables et démonstratives que leurs pairs hommes.

Très centrée sur les personnes, elles exprimeraient plus souvent une forme d’intelligence émotionnelle, cette capacité à comprendre et gérer leurs émotions mais aussi celles des autres, ce qui favorise un management bienveillant et performant.

Leur niveau élevé d’écoute active faciliterait leur écoute des besoins de leurs équipes et l’adaptation en conséquence. Leur forte appétence à la coopération et la co-construction favorise un leadership moins vertical et plus flexible, stimulant l’engagement et l’innovation collective.

Dans un monde du travail où la complexité et la transformation nécessitent de l’adaptation et de la collaboration, ces qualités présentent d’indéniables atouts.

De quel déterminisme genré parlons-nous ?

Je suis pleinement conscient du risque d’alimentation des stéréotypes en écrivant les choses ainsi. Tant en parlant du leadership masculin en ces termes simplificateurs qu’en réduisant le leadership féminin à cela et je peux déjà m’en faire le reproche.

En tant que sociologue, Pierre Bourdieu a travaillé sur les mécanismes de reproduction sociale. Ce sont aussi des mécanismes de domination. Son travail sur les concepts d’habitus (nos dispositions incorporées) et de champs (différentes composantes du monde social) montre que notre manière d’habiter le monde est une création personnelle qui devient… notre propre filtre. Si nous incorporons une partie du social en nous, nous pouvons aussi en sortir par notre flexibilité dans les champs sociaux. Consacrée par un prix Nobel de littérature en 2022, Annie Ernaux a incorporé des ressorts similaires au coeur de son oeuvre littéraire.

Sébastien Garcin[1] qui se définit comme un allié du féminisme considère pour sa part qu’entre le modèle masculin et féminin que la société nous propose, on peut choisir de s’en libérer pour reconstruire sa propre identité et s’ouvrir de nouvelles portes.

En tant que coach dans le monde professionnel, j’observe des différences de personnalités genrées qui viennent nourrir en partie ces stéréotypes mais elles sont beaucoup moins marquées qu’on ne l’imagine. Il y a même des femmes qui font preuve d’une très grande autorité et des hommes qui développent des qualités d’empathie très élevées. Et puis le milieu professionnel façonne les pratiques des un·e·s et des autres. Et le métier fait aussi l’homme… et la femme !

Une approche du pouvoir différente, mais tout aussi efficace

Réfléchir au leadership féminin pourrait être l’occasion de remettre en question les projections traditionnelles du « bon leader ».

Dès lors que les femmes ont tendance à créer des environnements de travail plus participatifs, où chaque voix compte, on pourrait parler d’un leadership « féminin plus inclusif ». Seul on va plus vite mais ensemble on va plus loin…

Plutôt que la performance immédiate, les dirigeantes semblent souvent valoriser la durabilité, la responsabilité sociale et le bien-être des équipes, qui pourrait inspirer un « leadership du long terme ». Un bon mix entre la compétitivité immédiate et la performance durable serait porteur de sens.

En intégrant des perspectives variées et en naviguant avec agilité dans des environnements incertains, cette flexibilité pourrait porter un leadership plus enclin à accompagner la complexité des organisations modernes.

Est-ce « rentable », la diversité ?

Le postulat autour des obligations sur la diversité repose sur une logique d’efficacité : une équipe mixte est supposée plus profitable ; cela permet d’aller au-delà de l’exigence éthique et d’équité qui pourrait déjà se suffire. Plusieurs études de Mc Kinsey ont ainsi évoqué une plus grande rentabilité des entreprises intégrant plus de diversité de notamment de femmes dans leur leadership.

C’est toutefois controversé. Le professeur Olivier Sibony[2], par ailleurs un soutien de la diversité, rapporte qu’aucune recherche scientifique n’a jamais confirmé ces bénéfices. En faut-il encore dès lors que l’obligation légale dégonfle sensiblement l’enjeu de ce bénéfice.  

On peut mettre alors en avant l’attractivité dans le recrutement des talents comme un atout de la diversité et de la mixité ; on peut aussi se dire que des équipes diverses limitent leurs biais de perception et deviennent donc plus efficientes dans leur process de décision, dans leur ouverture au monde, dans leur capacité à innover… et que la chaîne de valeur se situerait davantage ici.

Et puis, ne serait-ce pas trop réducteur de chercher un avantage économique à ce qui n’est, en soi, qu’une obligation de justice dans la société, voire périlleux dès lors que le rapport coût-efficacité ne serait pas établi ?

Encourager les femmes à affirmer leur propre style de leadership

L’enjeu pourrait alors se porter sur notre capacité à porter un autre regard sur le leadership. La sélection des hommes dans des postes de premières responsabilités vient aussi de la perpétuation de stéréotypes du leader, une forme d’injonction sociale. Le professeur Olivier Sibony évoque un entre-soi qui entretient plus une « miroirocratie » qu’une méritocratie.

Porter un autre regard, c’est ainsi s’affranchir des injonctions car il n’existe pas une seule manière d’être leader. Chaque femme doit s’autoriser à être elle-même dans son style de management. Dans le programme de leadership féminin que nous portons, nous faisons travailler les femmes entre elles sur leur marketing personnel (personal branding)[3] pour les inviter à emmener avec elle leur « moi entier » dans leur style de leadership. Et si l’enjeu, c’était de réconcilier la performance et l’authenticité pour permettre aux femmes d’affirmer leur leadership sans renier leur personnalité ?

Porter un autre regard, c’est aussi accepter de valoriser ses forces, plutôt que d’essayer de “se conformer” à un modèle de leadership qui ne serait pas le sien. En acceptant de capitaliser sur ses compétences naturelles, on peut prendre confiance sur son propre pouvoir d’influence pour développer son réseau, oser exprimer sa vision voire ses ambitions.

L’un des enjeux pourrait être d’avoir des modèles inspirants. Le programme « Women in leadership » chez BNP Paribas a permis une hausse de 30% des candidatures féminines à des postes de management en trois ans comme en témoigne Sophie, Responsable RH chez BNP Paribas [4] : « Nos études internes ont montré que le manque de modèles féminins en leadership freinait les ambitions des jeunes collaboratrices. En renforçant la visibilité des dirigeantes à travers des conférences et des retours d’expérience, nous avons réussi à créer un environnement plus inspirant et encourageant. ».

Finalement, les enjeux du leadership féminin ne seraient-ils pas ceux d’une société plus inclusive qui permet à chacun·e d’exercer ses talents indépendamment de son genre ? Un enjeu politique aussi qui incarne notre vision sur l’art de vivre ensemble. S’il fallait en revenir à un enjeu de performance économique, le leadership féminin, en stimulant la concurrence sur ce marché, ne peut que concourir à l’élévation moyen du niveau de leadership en entreprise, hommes et femmes confondus !   


[1] PDG de YZR. Entrepreneur et activiste. Auteur de « Le sommet de la pyramide »

[2] Professeur de stratégie HEC Paris, auteur de « La diversité n’est pas ce que vous croyez ! » (Mars 2025-Flammarion)

[3] Programme Luxinvia construit avec l’outil Lumina Spark pour « Elles sont cap’ » (Ucanss)

[4] Initiative « Women in Leadership » chez BNP Paribas. Études internes publiées dans le rapport RSE de BNP Paribas (BNP Paribas Corporate Responsibility).